L’histoire de demain

Photographies de Adama Sylla

LE LIVRE :

Sur les traces des pionniers de la photographie africaine, les Saint-Louisiens Meïssa Gaye (1892-1982) et Mama Casset (1908-1992), l’œuvre de Sylla, loin des images prises par les photographes reporters ou scientifiques occidentaux (prisme exotique), met alors en lumière la modernité des formes principalement urbaines du Sénégal. Dans une pratique comparable à celle de ses contemporains maliens Malick Sidibé et Seydou Keita ou camerounais Michel Kameni, il s’éloigne des clichés anthropométriques des photographies dans le sud du Sahara. Les premiers éléments qui fascinent dans son travail photographique sont les lignes très significatives que l’on voit apparaître à d’autres époques et à d’autres échelles de l’histoire de l’art. La question du corps, des lignes et de la composition pérégrine entre le maniérisme de Parmigianino (La Vierge au long cou, 1535) ou du Gréco (Le Gentilhomme, 1578), L’Odalisque (1814) d’Ingres, Le Déjeuner sur l’herbe (1863) de Manet, ou encore Picasso… Certaines scènes d’intérieur rappellent parfois les peintures de Njideka Akunyili Crosby (5 Umezebi Street, New Haven, Enugu, 2012) ou de Kudzanai-Violet Hwami (Black Anna, 2021)…

Il nous faut rappeler ici, que le portrait et la photographie en studio sont des genres définissant à l’époque le propre des photographes africains. Au milieu du XXe siècle, la photographie s’est imposée comme le meilleur outil pour écrire une nouvelle histoire du point de vue intérieur. L’ancien indigène devient alors acteur de sa propre représentation. Il n’est plus assailli par des fantasmes extérieurs. Entre les années 1930 et 1970, la profession offrait un statut social et une sécurité pécuniaire confortables (notamment à Saint-Louis du Sénégal où la densité de population assure une clientèle nombreuse). La société consomme la photographie, elle paie pour se faire immortaliser comme elle l’entend. Autour des années 1960, la vague des indépendances a été le point d’orgue des grandes transitions politiques africaines. Ces mutations profondes se traduisent par l’affirmation d’une nouvelle culture visuelle dans laquelle la photographie a joué un rôle essentiel. Dans la grande tradition continentale des photos de studio – mais aussi et à travers d’autres formes plus spontanées, la presse et les magazines ont contribué à forger une image « moderne » du monde panafricain.

Bien que la Sierra Leone, le Ghana ou même le Niger, le Mozambique et l’Afrique du Sud aient été des foyers actifs dès les années 1880, le Sénégal a lui aussi connu dès 1930 une concentration culturelle importante. Très vite, la démocratisation du support photographique est pratiquement une histoire du passé et l’installation de studios sur le continent amplifie cette dynamique. L’œuvre de Sylla s’inscrit dans ce « mécanicisme de témoignage » visuel d’une évolution sociétale. En dépassant la technique, il se focalise sur l’acte de capter une collection d’instants. Il offre ainsi une réponse qui n’engage que le spectateur. Adama Sylla donne aux personnes qui s’y intéressent, l’occasion de compléter une connaissance parcellaire de la photographie en Afrique. Car oui, le doyen est l’une de ces personnalités importantes de l’histoire de la photographie africaine. Il apporte à l’édifice, la compréhension du continent et met en lumière les sophistications de la culture sénégalaise.

Poursuivant son archivage en étant attentif aux corps, aux regards et aux détails formels qui viennent composer ces images, Adama Sylla n’est pas dans un rapport esthétique. Il saisit les histoires personnelles qui l’entourent. Par sa pratique acharnée, il développe une écriture visuelle propre à lui et surtout il révèle les vérités et les formes universelles qui nous unissent.

L’œuvre d’Adama Sylla est l’achèvement d’un processus qu’il aura mis quarante ans à accomplir. Il laisse derrière lui une histoire et des archives à analyser.
LE PHOTOGRAPHE :
Adama Sylla

Adama Sylla naît le 27 février 1934 en Casamance, dans la ville de Kolda, de parents saint-louisiens qui partent s’installer à Saint-Louis trois mois après la naissance du futur photographe. En 1956, il étudie à Saint-Louis puis suit une formation professionnelle en architecture à Dakar. La même année, il devient assistant du conservateur au service de muséologie et muséographie du Musée de la Mer – Gorée. En 1957, il est assistant du conservateur à l’Institut Français d’Afrique Noire (IFAN) à Saint-Louis.

Il commence la photographie, à la Maison des Jeunes et au labo du musée. À partir de l’Indépendance du Sénégal, en 1960, Adama Sylla documente les manifestations culturelles (1er Festival des Arts Nègres) et les événements politiques à l’initiative du Président de la République sénégalaise, Léopold Sédar Senghor. Il rencontre plusieurs personnalités politiques africaines et européennes : Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Mobutu, Assane Seck (Ziguinchor)… En 1964, il suit une formation polyvalente au Musée de l’Homme à Paris comprenant la muséologie, la muséographie, l’ethnologie, l’ethnographie, le dessin, la photo (dont il apprend les techniques de la photographie de mode, de macro, de presse, etc.) et l’ethnomusicologie. Il y fait la découverte déterminante du « cinéma-vérité » auprès de Jean Rouch. La même année, de retour au Sénégal il devient conservateur au CRDS (Centre de Recherche et de Documentation du Sénégal à Saint-Louis, ex. IFAN). En 1965, il ouvre un studio photo à Saint-Louis, à Guet Ndar, dans le quartier des pêcheurs sur la Langue de Barbarie. En 1966, il est le photographe pour le 1er Festival Mondial des Arts Nègres. Il prend, en 1992, sa retraite de conservateur des archives du musée du CRDS de Saint-Louis et contribue quatre ans plus tard à l’ouvrage de Frédérique Chapuis, L’Anthologie de la photographie africaine, édité par la Revue Noire en 1998, lauréat du prix Niepce.

Parution février 2024

  • format 16,5 x 23,5 cm
  • 104 pages sur papier couché mat 200gr, couverture cartonnée
  • impression bichromie
  • bilingue français-anglais,
  • 60 photographies
  • Collection ART PHOTO
  • ISBN 9789938971606

Éditions Lalla Hadria Editions – Tunisie
prix public : 49 DT / 24 €

 

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